Hasard, nature et plaisir

J’entends encore le petit Marcel Pagnol, dans « Le château de ma mère » affirmer : « ce n’est pas sale, c’est de la terre ! »

Apparemment certains trouvent qu’aujourd’hui c’est sale, à en voir les écoles primaires, tout en macadam et pelouse synthétique, où aucun enfant ne peut toucher aucune feuille. On appelle ces cours des aires de récréation, mais peut être faudrait il nommer ces lieux « aires de protection de l’espèce humaine », contre une nature agressive.

Il ne faut pas s’étonner qu’ensuite plus personnes dans les villes modernes ne s’émeuve de pollution ou de dégradation de la nature. A croire que cela est voulu, ou calculé comme vous voulez

Nous trouvons cela important de protéger les enfants contre les saletés de la terre et des arbres mais nous acceptons bien facilement les risques liés à la malbouffe et à un air pollué !

Il ne faudrait pas oublier que lorsque l’on achète un blanc de poulet emballé et bien propre, il s’agissait bien au préalable d’un être vivant, pas de cellules souches (bon ca va arriver mais pour l’instant touchons du bois).

A force de nous éloigner sans cesse des belles choses, car beaucoup, du plus pauvre au plus riches et quelles que soient les cultures, rêve de vivre paisiblement dans une nature accueillante et opulente, nous oublions que ce rêve est possible et qu’il ne tient qu’à nous de le réaliser.

Encore faut-il chercher à re-sentir combien les sensations d’expérimentation de la nature peuvent être riches et durables. Et il y des centaines d’expérimentations possibles : apprécier le calme d’une eau tiède, le crissement des feuilles, le bruit du vent, l’odeur des fleurs, le silence d’un paysage récemment enneigé, le jour qui se lève avec les animaux…

Et il y en a une que j’aime tout particulièrement, c’est celle de toucher le rocher.

Pour apprécier au mieux possible le rocher il faut grimper, mais sans cela c’est possible. On peut tout à fait caresser le rocher en restant au pied d’une falaise, chercher les prises, expérimenter comment les doigts peuvent s’y ajuster. Toucher avec le plat de la main ou le bout des doigts. On peut aussi faire naviguer sa main pour apprécier les différents types de grains, son adhérence, les saillances des prises, ses rondeurs aussi. Vous pouvez évaluer sa température, jauger si votre main y transpire ou reste sèche. Vous pouvez aussi serez les prises en essayant de relâcher le reste du bras ou en le contractant au maximum. En cherchant les différences et les détails du rocher, on trouve de l’intérêt à ce contact.

Evidemment, en grimpant, pour ne pas tomber, cette appréciation, ce toucher du rocher prend plus d’importance. Ainsi dans chaque trous vous chercherez à verrouiller vos doigts, à chaque pince vous chercherez à avoir un écartement de la main optimal, à chaque plat il faudra garder l’adhérence lors du mouvement, dans les fissures il faudra faire travailler les doits ou la main pour trouver le coincement adéquat…

En expérimentant ainsi les potentialités d’escalade qu’offre le rocher, vous pourrez vraiment apprécier son contact et sa diversité. Un trou, une réglette ou une fissure n’offrent que peu de plaisir au néophyte. En revanche, le grimpeur y verra toutes les possibilités d’escalade et de plaisir que permettent ces prises. Et il en va de même pour une succession de prises, pour une voie d’escalade. Et en grimpant, vous aimerez le coté hasardeux de la nature, car il n’y aucune raison pour les prises soient créées pour vous faire faire tel ou tel mouvement, vous vous adaptez, simplement. C’est toute la différence avec l’escalade en salle où un ouvreur veut vous inciter à passer de telle manière. Quelles que soient la beauté des prises artificielles ou l’ingéniosité des mouvements, la voie aura un caractère voulu. Vous ne pourrez pas apprécier le hasard de la nature, ce qui fait que ce que l’on aime dépend aussi de notre volonté personnelle d’aimer, pas de la volonté d’un décideur quelconque.

On peut comparer cet intérêt lié au hasard avec la volonté de reproduction et d’amour pour nos enfants. Ce qui fait que l’espèce humaine perdure alors que les nouveaux nés sont des incapables, c’est l’amour et notre volonté de les faire vivre. Mais nous n’avons aucune raison a priori d’aimer notre enfant, nous ne le connaissons pas, c’est un être en devenir qui peut devenir un parfait dictateur ! Nous ne le choisirons pas. Et pourtant, nous avons une raison de l’aimer, c’est qu’il est aussi le fruit du hasard. C’est que justement il peut tout être et qu’il peut tout devenir, que ca ne tient qu’à nous de l’aimer et nous en faire aimer. C’est que malgré ses défauts et malgré les nôtres, nous nous accepterons mutuellement car nous respectons et nous voulons ce hasard. C’est pour cela que l’adoption doit rester aléatoire et que vouloir décider de la couleur des yeux ou de l’intelligence de son enfant est insensé.

Nous aimons le hasard parce qu’il représente l’infini, le sublime.

Par hasard j’entends ce que nous n’arrivons pas à prévoir mais qui a néanmoins une cause. Hasard ou contingence la n’est pas la question. Nous aimons le hasard parce qu’il représente l’infini, il nous dit que tout est possible et que donc il nous est permit d’espérer.

Et grimper à vue, c’est aussi quelque part espérer une prochaine prise convenable, c’est faire confiance au hasard et à soi-même.

Pour finir, tenter de ressentir intensément la beauté de la nature tient aussi au regard et à la signification qu’on lui porte.

« Le vrai voyage ce n’est pas de chercher des nouveaux paysages mais un nouveau regard », Marcel Proust.

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