Intérêt et spécificité de l’alpinisme

Sur l’intérêt de l’alpinisme il y a beaucoup à dire, que ce soit par le développement de la confiance en soi, l’expérience de la liberté, ou la possibilité de vivre un rapport social égalitaire et solidaire. Mais on pourrait dire ça de bon nombre de pratiques c’est pourquoi je préfère dans un premier temps m’attacher aux spécificités intéressantes de l’alpinisme.

En quoi l’alpinisme est spécifique ?

Si beaucoup d’ouvrages cherchent les raisons de pratiquer l’alpinisme, c’est en partie parce que la question est complexe et que les réponses sont parfois personnelles, singulières. En effet, pourquoi ne pas pratiquer la voile, le parapente, ou toute autre activité en milieu naturel ?

Il y a bien des manières de vivre des expériences constructrices au plan personnel sans entrer en conflit avec d’autres personnes. Une des premières spécificités des sport de pleine nature est de se confronter a un milieu, un environnement dangereux, inconstant en espace et en temps (un après midi de juillet en face sud est bien différent d’un matin de janvier en face nord) et démotivé (les pierres qui tombent ne visent pas les grimpeurs), régit par des lois trop complexes pour les comprendre totalement et immédiatement. La gestion de ce danger implique un mode de prise de décision, une adaptation immédiate ainsi qu’une stratégie élaborée à l’avance, une vigilance et une acceptation de l’inconfort (un manque de sommeil imposé rarement vécu dans la vie quotidienne) qui réduisent peu a peu le nombre de pratiques répondant a ces spécificités. L’engagement que l’on peut vivre en alpinisme, notamment lorsque les secours en montagne sont inexistants, à la fois recherché et géré est rarement vécu dans d’autres circonstances. Une communauté d’alpiniste, pour répondre à un mode de prise de décision lors de la préparation de la course a trouvé des réponses telles que le partage d’informations libres et ouvertes (topos, site internet…) qui lie cette communauté intensément. La prise de décision du moment présent, quant à elle, demande d’accepter des intuitions, des prises en compte de détails déterminants qui au final se révèlent avoir été construits par une expérience solide.

Le rapport humain de la cordée, spécifique car impliquant une solidarité et une acceptation de la faiblesse de son partenaire et de soi même continue de diminuer le nombre de pratique qui répondent a ces critères.

Enfin, le refus réfléchis de la tentation technologique isole encore l’alpinisme. Si à une période de l’himalayisme toutes les technologies possibles et abordables étaient utilisées (oxygène, cordes fixes, dopages…) la communauté a aujourd’hui compris que cette réponse systématiquement technologique cassait le ou les sens profonds de la pratique (notamment l’engagement) et était parfois contre productive car plus longue et plus lourde. Il y a donc une réflexion qui s’organise constamment pour non seulement décrire des coutumes acceptables mais aussi pour que la manière de gravir compte plus que le sommet. En effet « briser les règles, c’est briser l’enchantement » (C.Lasch)

La gestion de ce qui est acceptable ou non d’aide technologique implique un mode de décision et une manière d’agir qui est propre à l’alpinisme et qu’il faut défendre, ce qui sera l’objet de la deuxième partie.

Pourquoi ces spécificités méritent d’être défendues ?

Dans un monde où en terme de mémoire et de raisonnement logique les machines sont plus performantes que les hommes, il reste a ce dernier la création et l’adaptation pour se démarquer et évoluer. Les arts et les sciences sont des disciplines qui lui permettent de développer ces compétences sans mettre en jeu sont intégrité physique. En alpinisme, non seulement l’intégrité physique est mise en jeu, en danger, mais le pratiquant doit traiter des données extérieures et intérieures (son état de forme) dans une situation d’urgence vitale. Il ne peut clairement pas traiter intégralement ces données car elles sont bien trop complexes. Il doit donc s’adapter, décider sans cesse dans des situations qui le dépassent. Il doit tantôt faire confiance à ses intuitions, tantôt comprendre qu’elles sont des pièges. Il doit agir en être libre en se sachant faible. Il doit comprendre et apprécier sa faiblesse et celle de ses partenaires à un moment où il ne peut pas fuir, où il ne peut pas refuser le problème, où il doit faire face aux éléments et a lui-même, dans une situation qui ne se reproduira jamais de manière identique. Même si l’alpiniste suit souvent des procédures, il doit savoir s’en passer et trouver des solutions qu’il ne pourra pas tester au préalable. La création se fait immédiatement et avec un recours technologique bien maigre et c’est lorsque les problèmes se posent que l’alpiniste remarquera combien il lui était indispensable d’entretenir ses compétences. Par exemple, si le GPS a grandement facilité l’orientation il n’a pas supprimé la nécessité de la compréhension de la carte et de son interprétation pour ensuite se déplacer sur le terrain.

En somme, l’alpinisme est un exercice intellectuel qui entretient des compétences aussi variées que nécessaires.

Face a quels risques, quelles menaces ?

Il nous parait aujourd’hui important de défendre l’alpinisme en l’inscrivant sur la liste du patrimoine mondial immatériel de l’Unesco car certaines menaces s’intensifient : la diminution des espaces naturels non réglementés et non privatisés. Les accès technologiques (téléphériques, routes, chemins bétonnés…) envahissent peu a peu les terrains propices a des aventures privilégiées qui nécessitent un éloignement qu’il est impossible d’avoir dans la quotidienneté. Les sociétés modernes refusent de plus en plus les morts accidentelles violentes ce qui se traduit par une judiciarisation, une recherche de responsabilité humaine, notamment par l’obligation d’assurances civiles ou professionnelles de plus en plus restrictives.

Dans un monde citadin orthogonal, il est plus que jamais nécessaire de défendre ce qui est inconstant, invariable et imprévisible. Si « l’essentiel est de bien réussir sa folie » (F.Ponge), l’alpinisme permet de la déclarer et de la faire vivre dans un esprit de mesure.

La folie des gens est leur charme, la preuve de leur liberté et de leur humanité finalement.

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