Face Nord de l’Eiger

Ascension de la Harlin en hiver

Il faut saisir les occasions de se faire peur. Il y en a trop peu. Et choisir le lieu. La face nord de l’Eiger en est une parfaite.

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas fait une face nord en hiver et tenter la voie Harlin avec Seb et Max, même en pleine saison de guide, ça ne se refuse pas. Bonnes conditions ou pas, il faut être opportuniste.

Nous voilà donc sur la route vers Lauterbrunnen où nous avons le loisir de discuter de la stratégie à adopter car cette voie compliquée, jamais faite intégralement en hiver en technique alpine, n’est vraiment pas une mince affaire. Heureusement nous avons le topo de Robert Jaspers et Roger Schaeli et des infos par Cédric Perrillat, Patrice  Glaron-Rappaz et Paul Robach. Mais pas d’infos sur la partie haute, les deux cordées précédentes s’étant finalement échappées par la Heckmaeir (face nord classique ouverte en 1938).

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Dans le doute, nous décidons de partir lourdement équipés: 5 bivouacs dans les sacs de hissage !

Nous réalisons donc un portage au pied de la face nord depuis la station Eigergletscher le premier jour et pouvons ainsi constater que le début de la voie est très enneigé. Bien que les pentes sous la face soient bien chargées, il n’y a que peu de dénivelé pour atteindre l’emplacement de dépose du matériel. Cette paroi, calcaire, a une configuration différente des parois granitiques : Elle est constituée de strates très raides entrecoupées de pentes de neige ou de glace. De plus les lignes de fissures sont difficiles à appréhender et le rocher n’est pas très bon, voire franchement mauvais. En 1966, Harlin et son équipe avaient ouvert la voie en un mois avec l’aide de cordes fixes mais avec un équipement bien plus lourd et bien moins efficaces qu’aujourd’hui ; ils avaient néanmoins des pitons à expansion. C’est qu’il faut avoir l’œil, dans ce rocher, pour trouver de bons emplacements de pitons.

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Après une nuit près de la gare, nous partons tôt le jeudi pour arriver au lever du jour au pied de la voie. Plus de 40 longueurs de corde nous attendent. Nous avons 2 sacs dont un très lourd et 3 cordes de diamètres différents pour pouvoir hisser, jumarder ou … grimper quand même !

Après un tirage au sort digne d’une démocratie directe, Seb se lance dans la première longueur, déjà abrupte, et va vite malgré sa toux tenace (une soirée de fin de stage d’aspi qui a mal tourné et affaibli son système immunitaire mais pas sa motivation).

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Il s’ensuit des pentes de neige et des ressauts de glace sur lesquels nous devons adapter rapidement la stratégie : on hisse ? on porte ? avec quelle corde ? Le problème avec ces sacs lourds c’est que dès lors que l’on choisit de hisser il est impossible de grimper en corde tendue, il faut donc trouver des relais parfaits ce qui n’est pas toujours chose aisée dans ce rocher…

Relativement tôt, nous arrivons au Window Wall, ainsi nommé car situé au niveau des fenêtres du tunnel dans lequel passe le train. Nous dormirons ici mais essayons auparavant de fixer quelques longueurs car ce mur est difficile à franchir. En fait, il faudrait le grimper en chaussons mais avec la neige sur les prises nous préférons évoluer à moitié en libre et à moitié en escalade artificielle. Pour certains passages, et notamment lorsque les prises de pieds sont des plats glissants, il eut été préférable de garder les crampons…

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C’est ainsi que nous nous retrouvons, accrochés aux prises pas assez crochetantes avec nos piolets, et visant, la dégaine entre les dents, le prochain piton dans l’œil duquel nous pourrons enfoncer la lame… Le tableau pourrait paraitre héroïque s’il n’était ridicule… car une fois la lame du piolet dans le piton, il est bien difficile d’y mettre la dégaine, laquelle, entre les dents, nous empêche de demander du mou à l’assureur, qui prend des photos… « Le meilleur est dans la peine », nous dit Diogène, mais le pire aussi…

Et il faut refaire ce type de manipulation régulièrement car les passages délicats entre les pitons sont monnaie courante dans ce rocher. Il ne faut d’ailleurs pas trop prêter attention aux cotations car sinon ce n’est pas un coup au moral que tu prends, c’est carrément une humiliation par topo interposé…

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Au milieu de la troisième longueur, manquant d’équipement, nous redescendons avec Max au bivouac délicatement taillé par Seb. Nous avons droit à trente minutes de soleil et à son coucher pendant que nous faisons fondre la neige. Dès le premier bivouac, j’ai la bonne idée de taper mes chaussures contre le rocher délité qui se venge en tombant sur mon matelas gonflable et le perce… Ce sont les sacs de hissage qui me serviront d’isolant pour les nuits suivantes…

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L’avantage avec ces pentes enneigées c’est que les bivouacs sont confortables. Après une première nuit allongée (comme les trois suivantes et à la différence de la dernière), nous remontons au jumar sur les cordes au petit matin. Max se lance (enfin c’est une métaphore, on pourrait plutôt dire qu’il se meut) dans les longueurs suivantes où, là encore, traversées et remontées nous obligent à adapter sur-le-champ nos stratégies de portage/hissage.  A la suite de quoi notre Seb toussotant prend le relais, ou plutôt le laisse derrière lui pour partir bille en tête dans les goulottes suivantes. C’est ensuite mon tour (que je n’avais pas demandé, car sachant ce qui m’attendait, je restais discrètement à l’arrière…).

 

Une longueur de 62m (trop longue donc) en M5/rocher mauvais à franchir : le début se passe bien mais la fin beaucoup moins puisque, à l’aveuglette, cherchant le relais salvateur, je me retrouve sur une neige à la consistance du sucre sur du rocher délité impossible à protéger et particulièrement dur à ressentir (je n’essaie même pas de comprendre, juste me tirer de ce mauvais pas). Il s’agit alors de grimper à l’inverse de ce que l’on apprend généralement : tout en crispation – friction – compression – poussée des prises de mains vers le bas, genoux posés en mettant le maximum d’adhérence avec les bras. Imaginez-vous grimper sur un éboulis !

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La sensation est étrange et l’orgueil cède la place à l’instinct de survie… Finalement je le trouve ce relais,  dissimulé sous la neige, et fais venir mes compagnons (enfin, s’ils avaient été de « vrais » compagnons, ils auraient proposé de faire la longueur suivante mais bon…) . Je repars donc dans la longueur M6/délicat/bouchon de neige/mauvais rocher/protection dure à trouver…  cotation qui signifie juste qu’il est préférable d’être en second sauf qu’étant en traversée c’est tout aussi pénible pour les seconds. Une fois au relais d’après, j’ai la joie de constater que les spits sont rouillés, les pitons pourris et les fissures ouvertes. Je mets donc 7 points pour assurer mes pseudo compagnons.

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Nous ferons bivouac ici. Encore une fois, le coucher de soleil sur une immense mer de nuages est somptueux. Quelques sommets surgissent de part et d’autre, donnant l’impression de se trouver au dessus d’une étendue de glace mouvante.  Nous pouvons enfin prendre le temps de contempler le sublime et l’infini de la nature, oubliée parfois dans l’action.

Retour au combat le samedi avec au menu toujours ces ressauts et traversées, exténuantes car les sacs sont trop lourds. Nous rejoignons assez vite le « bivouac de la mort » (je n’invente rien) au dessus duquel j’assure Max qui va fixer quelques longueurs. Après deux longueurs faciles il s’engage dans deux autres longueurs de mixtes dont une marquante : il s’agit de grimper sur des rochers brisés non protégeables et recouverts de neige. Cela semble facile vu du relais mais le coté aléatoire de l’escalade, l’absence de ligne logique de prises, ajoutés à l’impossibilité de placer des points de protections rend la chose ardue. D’ailleurs, une fois au relais, Max a comme une révélation : si la fin originale de la Harlin est une suite de longueurs semblable à celle-ci, ça va être l’enfer !

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Nous redescendons au bivouac de la mort, au-dessus des nuages, au-dessus de la ville, seuls dans la face et face à nous même (surtout Max, bien moins bavard que d’habitude).

Après la remontée sur corde, c’est Seb qui repart en tête dans ces longueurs de mixtes très raides. Nous nous trouvons légèrement en dessous du névé appelé l’araignée, à partir duquel la voie Harlin file à droite. Après une longueur déversante « artifée » comme il se doit, Seb repart en mi-artif, mi-dry-tooling en coinçant ce qu’il peut dans ces fissures évasées. Au bout de quelques mètres il chute, sans élégance et avec un cri digne d’un tuberculeux, mais avec la bonne idée de planter un crampon dans le casque de Max, lui occasionnant un tassement de vertèbre dont ce dernier se serait bien passé ; et l’autre crampon dans ma cuisse. Un peu secoué par la toux et l’émotion, il repart vers sa longueur promise pour de nouveaux imprévus, dont une fin à l’aspect débonnaire mais à la réalité glissante. Nous voici enfin à l’araignée, où les deux précédentes cordées se sont échappées par la face nord classique. Il nous reste quelques vivres et la météo est encore bonne, nous décidons donc de tenter la sortie originale. Malheureusement nos informations sont erronées et nous bifurquons trop vite à droite. Nous cherchons des traces de passages, pitons, cordes fixes, un franchissement logique, nous escaladons, traversons, dés-escaladons mais rien n’y fait : nous ne trouvons pas. Nous nous rendons à l’évidence et après un rappel et une remontée dans l’araignée, nous taillons un petit et inconfortable bivouac. Bien énervés par cet échec mais heureux néanmoins de l’aventure, nous passons la nuit moitié recroquevillés et moitié glissant  dans le vide, Max profitant de l’occasion pour s’alléger de son casque…

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La fin de la Heckmaier force le respect par l’audace des ouvreurs. Quelques passages de mixtes et des cheminées sèches mènent aux pentes de neige… ou de sucre. Encore une fois, dans une inclinaison à 55 ou 60 degrés, je me retrouve à déraper sur plusieurs mètres, plutôt alarmé car le dernier point est bien loin, m’accrochant à la moindre aspérité, tout en songeant que 5 ans auparavant ces pentes étaient vraiment faciles. Finalement, à la vue des conditions de sorties, c’est peut être mieux de sortir par la Heckmaier… Il ne reste plus que la fin, magnifique, de l’arête Mittellegi, et, louvoyant autour des corniches, nous pouvons profiter du soleil et du magnifique panorama sur l’Oberland.

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