Vidéo et article sur notre expé au Latok 2
la vidéo: https://www.dailymotion.com/video/x1ach5z
En 2009, Julien Herry, Roch Malnuit et Maxime Belleville avaient tenté l’ascension de la face sud ouest du Latok 2 (7150 mètres), situé dans le massif du Karakoram, au Pakistan. Ils avaient du renoncé à cause du mauvais temps vers 5900m. C’est grâce à eux que nous avons eu l’idée de renouveler leur tentative.
Je n’avais grimpé ni avec Mathieu Maynadier, ni avec Antoine Bletton, mais leur compagnie durant quelques soirées et leur motivation m’avaient convaincu qu’avec eux et Sébastien Ratel, nous formerions une équipe soudée.
On a beau préparer du mieux possible une expédition, s’entraîner, choisir un objectifs réalisable et pas trop dangereux, il demeure toujours de nombreuses raisons de rater une expédition en altitude, et rares sont celles de réussir. Pour ce qui nous concerne, ceci s’illustre parfaitement au Pakistan !
Après avoir perdu deux jours en négociations inutiles au ministère du tourisme, pour essayer d’échapper à la présence d’un officier de liaison car celui-ci est inutile et ne comprend rien au sens de l’alpinisme. Nous avons même cru un moment ne pas pouvoir se faire délivrer le permis d’ascension en raison des toutes nouvelles restrictions de zones. Bref, après ces arrangements mal réglés, nous voila parti pour 26 heures de bus à travers le Pakistan pour rejoindre Skardu, ville de 200 000 habitants située au Nord Est du pays.
Si l’on écoute Vaquas, notre bien-aimé officier de liaison, les récentes émeutes entre chiites et sunnites (qui nous ont fait un moment douté de l’opportunité de notre venue ici) rendent le voyage dangereux et l’escorte policière indispensable. Mais si l’on ferme les yeux ce n’est pas plus risqué que de traverser le couloir du Goûter au mois d’aout. Donc passons, et arrivons. Sébastien est malade depuis les brochettes d’un restaurant d’Islamabad : si l’on écoute son estomac il faut se rendre d’office à l’hôpital mais si l’on se bouche les oreilles (et le nez) on prend du Coca (plus facile à trouver que le Ricard qui lui aussi possède des vertus d’antiseptique gastrique) et on roule.
Après Skardu, quelques heures de 4X4 sur une piste douteuse mènent à Askole (2800m), dernier village de 500 habitants seulement et surtout départ de la marche d’approche.
Bizarrement, alors que souvent des tensions peuvent naître entre les expéditions et les équipes de porteurs, tout se déroule comme prévu lors du trekking d’acclimatation : ceux-ci se montrent très professionnels, sympathiques et engagent volontiers la conversation. Pendant 3 jours, entre Askole et le camp de base, nous pouvons apprécier la longueur du glacier de Biafo, c’est-à-dire une bonne cinquantaine de kilomètres en glace, cailloux et moraine où les locaux parviennent tout de même à faire marcher les mules !
Mais les raisons de douter continuent au camp de base. En observant les sommets environnants, la question de l’acclimatation se pose frontalement. Le Latok 2 est à plus de 7000m et tous les sommets environnants sont soit légèrement au dessus de 5000, soit trop difficiles et constitueraient ainsi des objectifs à part entière.
Nous partons trois fois à ski repérer la paroi et faire une dépose de nourriture sans jamais entièrement la voir à cause des nuages. Grâce aux antibiotiques, les intestins de Sébastien se font plus discrets et nous enlèvent déjà une belle épine du pied car la possibilité qu’il ne puisse poursuivre l’aventure émergeait peu à peu.
Quelques journées de beau temps nous permettent de randonner à ski et de passer une nuit à 5000, ou plutôt subir car le mal de tête en altitude empêche le bon sommeil.
Après une autre petite perturbation nuageuse l’option, pas très convaincante en raison des récentes chutes de neige et de la raideur de la pente, de gravir un contrefort du Latok est adoptée. Elle nous offre ainsi la possibilité de dormir à 5800, pour ensuite éventuellement, si sur un malentendu la météo nous y autorise, à dépasser les 6000. La pente est plus raide que prévue et par erreur nous nous décalons un peu de l’itinéraire envisagé.
Inopportunément, une coulée de neige embarque le sac à dos de Mathieu alors que l’emplacement du bivouac se rapprochait. Le doute s’installe : il nous manque désormais un duvet, une tente, le téléphone satellite, et j’en passe. Ce bivouac, plus froid que prévu pour Mathieu qui n’a plus de duvet et pour moi qui dort dehors, nous oblige à reconsidérer nos chances de réussites. Le lendemain, effectuant la queue et la corde entre les jambes les rappels le long de la ligne la plus probable qu’ai pu suivre le sac la veille, nous nous rendons compte à quel point Mathieu à bien fait de ne pas confondre propriété et identité. En effet le sac a chuté le long d’une paroi de 700m. Par chance, ou mérite d’avoir su le placer au bon endroit par rapport à la trajectoire de l’avalanche, il est retrouvé presque sain et sauf au pied de ladite paroi, ce qui augmente considérablement nos espoirs.
Encore mal acclimatés, nous restons tout de même attentifs aux prévisions météos car ici les créneaux longs sont rares. C’est vendredi, notre routeur prévoit une sale journée dimanche, de quoi pouvoir se lâcher sans scrupules sur ce qui constitue notre unique source d’anis. Erreur : le samedi, les prévisions sont modifiées, il va faire beau pendant trois jours et ensuite le changement de lune va provoquer un temps déplorable pour les 10 jours à suivre. Il faut donc préparer son sac à toute vitesse avec encore ce goût d’anis dans la bouche sèche et rejoindre d’office le pied de la voie (situé à 5000m). Nous pensions tenter le Latok 2 en 5 jours bien acclimatés, mais il faudra le gravir en 3 jours sans avoir pu au préalable dépasser les 5800. C’est donc un peu hésitants que nous abordons l’ascension.
Le premier jour se déroule à peu près comme prévu du point de vue des difficultés techniques si ce n’est la longueur de l’itinéraire. L’arrivée après quinze heures d’effort à l’emplacement du bivouac (à 5800 m) est tardive, et ce dernier est tellement étroit que Sébastien et Antoine ne peuvent installer la tente. Nous doutons de notre capacité physique et mentale à encaisser des journées de ce type en altitude. De plus les spindrifts (ou neige qui coule de manière insistante) qui recouvrent la tente durant la nuit rappellent à quel point la moindre chute de neige dans une paroi de cette ampleur peut être incommodante. Ce fut une de ces nuits où l’on ne sait pas si l’on voudrait qu’elle soit courte pour abréger l’inconfort ou longue pour essayer de dormir.
Au deuxième jour (heureusement il n’en fallut pas six avant le repos du dimanche !), les difficultés techniques restent persistantes et notre rythme un peu plus lent. En revanche, à 6300, nous arrivons à une confortable selle neigeuse et y plaçons notre bivouac. Il reste un seul jour de beau temps et le surlendemain une forte perturbation est prévue pour 7h du matin, heure à laquelle il serait souhaitable de se trouver à l’abri sur le glacier.
Le sommet étant à 7150m, un départ à 2h30 devrait suffire pour y parvenir entre 10 et 12h et descendre ensuite dans l’après-midi.
La journée commence par un couloir au début facile mais rapidement des ressauts d’escalade mixte s’imposent : nous tentons en vain de les contourner, nous les forçons, nous nous y épuisons et perdons du temps. Finalement nous atteignons l’arête terminale à 14h, ce qui nous fait fortement hésiter à continuer. Le cerveau mal irrigué, incapables de produire une réflexion rationnelle, en ayant même des difficultés à se souvenir du prénom de notre compagnon de cordée, nous nous persuadons mutuellement de nous obstiner et de descendre par la suite toute la voie de nuit. Parce que parfois, le petit mot de F. Ponge : « Un pas de plus pour se perdre et l’on se trouve », prend du sens. Parce qu’aussi si l’on essaye d’ouvrir une voie en altitude, c’est pour être confronté à ce type de prise de décision.
Mais l’arête est longue et la neige est fraîche. A un rythme désespérant, voire pénible (d’où le nom de la voie : Théorème de la peine), de 120m de dénivelé à l’heure, déshydratés, nous gagnons, ou échouons ça dépend du point de vue, l’antécime sud-ouest (7020 mètres). Le sommet principal est un peu plus loin, facile mais 100 mètres plus haut tout de même. Il est 18h30, nous sommes exténués mais bien heureux et rassasiés d’avoir gravi cette paroi, et décidons donc de redescendre.
Le soleil se couche, il fait encore beau, le massif est immense. Tout au loin le K2 dépasse et tout en bas le glacier de Biafo s’étend. Tout est démesuré, tout est désertique, tout est inhospitalier ; nous sommes loin de toute présence humaine et c’est maintenant qu’il faut profiter de ce rare sentiment d’isolement, la bouche sèche et une légère anxiété pour la descente. Malgré les souffrances nous ne regrettons rien, savons pourquoi nous sommes là, même si les raisons en sont multiples, complexes et imbriquées. Il faut garder sa lucidité malgré le sommeil envahissant et la soif persistante.
Ce n’est qu’une fois sur le glacier, à dix heures du matin, après 2000m de descente en rappel sur lunules de glace, que nous pouvons souffler un peu.
Les premiers habitants rencontrés au retour sont les villageois d’Askole à la vie tellement différente mais dont nous comprenons les difficultés. Ici, les montagnes ne pardonnent rien. Elles sont arides et glaciaires. Les chasseurs ne s’y aventurent que pour les ibex, forçant l’admiration. L’eau, la terre et les bêtes sont rares. L’hiver est rude et les porteurs attendent les quelques expéditions qui leur permettent d’améliorer leur quotidien mais tout en s’interrogeant sur leurs véritables objectifs. Nous les remercions chaleureusement et repartons en sachant que sans eux rien n’est possible, même si aujourd’hui quelques expéditions se font déposées au camp de base par hélicoptère.