« Y LAISSER DES PLUMES »
Expédition d’alpinisme dans le massif du Daxue Shan (province du Sichuan) en Chine, du 03/10/2009 au 25/10/2009.
Les participants : Baptiste Rostaing-Puissant, Pascal Trividic, Rémi Sfilio & Pierre Labbre
Quatrième jour, 8ème longueur (5400m)…
Allez, encore dix coups de tamponnoir et une fois ce spit expansé je fais monter Remi. Nous sommes maintenant au pied de la longueur clé, déversante, de cet imposant big wall. Il va alors falloir s’employer en artif pour venir à bout de ces écailles suspendues quelques peu « branlantes »… Même en prenant notre temps nous devrions y parvenir ; nous avons huit jours d’autonomie en nourriture et en gaz pour grimper cet obus de 1000 mètres !
Tiens ! Quel est ce bruit sourd venant du bas ? Je ne rêve pas ! C’est notre plus gros sac de hissage qui vient de s’envoler du bivouac ! J’aperçois même les bouteilles de gaz et les lyophilisés s’éparpillant sur le glacier ainsi que le duvet de Pascal s’envolant tranquillement dans les airs tel une feuille morte ! Rémi, qui m’assure, appelle aussitôt Baptiste 150 mètres plus bas au bivouac :
« – Oh ! C’est quoi ce délire ? Qu’est-ce qui se passe ?
– Heu… ».
C’est la cerise sur le gâteau, le clou du spectacle, la goutte d’eau qui nous fait craquer…
A cause de cette maladresse dans la manipulation des sacs, tous nos vivres de course nourrissent désormais les crevasses du glacier. Il faut ajouter à cet acte manqué que l’équipe venait déjà de se réduire à trois la nuit précédente… En plein rêve, au bivouac, une pierre a transpercé le fly (tente de paroi) et est venue terminer sa course dans la poitrine de Pascal. Le pectoral complètement comprimé, il ne peut plus bouger son bras et doit donc renoncer à continuer l’ascension. A ces deux coups du sort, si l’on ajoute la difficulté à se protéger correctement sur ce granite raide, soit trop compact (artif sur rurp ou bird peak), soit composé de plaques délitées et sablonneuses aux bruits douteux, l’aventure sur cette paroi paraît maintenant fort compromise…
C’est donc d’un commun accord que nous fuyons « courageusement » ce maudit big wall. Fin de l’histoire ! Après toute cette énergie, cette préparation et cet argent dépensés pour ce projet d’ouverture sur une tour sans nom, perdue dans le Sichuan sur le glacier du Tshiburongi, nous devons renoncer.
Pendant que Pascal se rend à Kangding faire des radios de ses côtes, nous redescendons toutes les affaires restantes au camp de base. Que faire alors pour occuper nos dix derniers jours d’expé ?
L’année précédente, Pascal, Sébastien Bohin et Sébastien Moatti s’étaient déjà rendus dans le Daxue Shan pour tenter la face Nord-ouest du Jiazy (6540m) encore vierge. Ils s’étaient acclimatés en ouvrant l’arête Sud-est du Riuchi Kongga (5928m) puis avaient fait une tentative avortée dans le Jiazy, la météo étant désastreuse. Pascal nous décrit cette face comme une face nord des Droites sur 1500m. Nous hésitons encore car nous possédons très peu d’informations sur cette face mixte et encore moins sur la descente. Finalement, après avoir rajouté 800 dollars de permis, nous partons tous les quatre en direction du Jiazy, situé dans une vallée parallèle à seulement un jour de marche de notre camp de base. Par chance, Pascal nous confirme que la face est beaucoup plus sèche que l’année passée, donc en meilleure condition. Nous repérons une belle ligne de glace ne paraissant pas trop exposée et qui semble se terminer par une arête rocheuse mixte.
Demain, si le temps le permet, Rémi et moi partirons à 3h du matin du camp avancé. Pascal et Baptiste partiront eux explorer les vallées environnantes.
Le réveil sonne à 3h et malheureusement tout est bouché, le vent souffle fort ; nous décidons alors d’attendre un jour de plus à l’abri de notre gros bloc. Une journée d’attente est dédiée à cette question récurrente chez l’alpiniste en repos forcé : « Qu’elle est la limite de mauvais temps au-delà de laquelle il est trop dangereux de s’aventurer ? » toujours pas de réponse…
Le lendemain le temps est sensiblement le même, après courtes réflexions, c’est évident : il faut tenter ! L’approche finale au pied de la face, s’effectuant de nuit, est rendue plus difficile par l’absence de lune. Nous ne sommes pas certains d’avoir emprunté le bon cône neigeux et nous nous attendons toujours à buter contre une barre infranchissable. Au lever du soleil, nous remarquons que nous nous trouvons finalement dans la bonne voie… Ouf ! Malgré les rafales de vent, nous pensons pouvoir parvenir à l’arête dans la journée après avoir franchie la goulotte. Les longueurs de glace s’enchaînent et n’en finissent plus… Nous prenons pieds sur l’arête la nuit tombant. Déception ! Celle-ci trop effilée ne va pas pouvoir nous offrir un bon emplacement de bivouac. Une simple petite vire déversante nous accueillera alors pour la nuit ! Le vent toujours fort rend laborieux l’utilisation du réchaud. En deux heures, nous réussissons seulement à faire un litre d’eau froide pour nous réhydrater et manger nos lyophilisés. L’eau de la journée a gelé dans la gourde, le thermos ferme de plus en plus mal, je ne sens plus mes orteils car j’ai trop serré mes chaussures, la nuit s’annonce rude !
« – On se met comment, debout ou assis ?
– On se vache court, ça devrait aller. »
Et ainsi, tous les quarts d’heures de cette trop longue nuit :
« – Pousse toi un peu, je suis suspendu !
– Moi aussi !
– J’ai mis au point une technique : tu remontes les sangles du baudrier aux genoux, ça évite de couper la circulation et c’est plus confortable.
– Oui, je fais pareil mais je ne sens plus mes jambes.
– J’ai quand même une bonne nouvelle : la gourde de 2 litres que j’ai dans le duvet commence à dégeler, demain on pourra boire ! Mais arrête de gigoter comme ça ! Heu, ton duvet s’est troué en frottant contre le rocher, tu perds tes plumes !
– Toi aussi ! »
Voilà ce qu’on peut appeler un bivouac « merdique » en paroi !
Le vent s’étant légèrement calmé au petit matin, nous parvenons à remplir le thermos. C’est parti pour une traversée dite « chauffe mollets » de 300m pour rejoindre un large couloir. Après avoir remontés la goulotte terminale, nous parvenons sur la crête sommitale à 6200m, vers 18h. On brasse dans la poudre, le sommet est trop loin, aucun doute, il faut descendre…
Ne connaissant pas la descente et cherchant un passage entre les séracs et les crevasses, je casse un pont de neige et perd alors un piolet dans la chute. Tant mieux, je serais plus léger pour la suite ! Enfin, nous trouvons un passage étroit salvateur que nous allons pouvoir désescalader. J’essaie d’assurer Rémi à l’épaule, mais à quatre pattes contre le vent ce n’est pas si simple. Je connais bien Rémi et lui fait confiance, il ne tombera pas, je laisse alors filer la corde. Après 800m de désescalade nous arrivons enfin au col sud au pied de l’arête. Pendant que Rémi creuse un trou dans la neige, je remarque que le thermos est vide :
« – Tu as tout bu ?
– Non, je n’y ai pas touché.
– Ah oui ! T’as raison, il était cassé et s’est vidé sur ton duvet…bonne nuit ! »
Il ne nous reste plus que quelques rappels à faire pour finir la descente. Le temps s’est amélioré, demain le soleil nous réveillera…
« – Bon, Pierre, il neige, on se lève ?
– C’était donc ça cette désagréable sensation d’humidité ?
– Oui et le vent ramène toute la neige dans ce fichu trou, les duvets ont dû prendre 2 kilos !
– Je tente de faire de l’eau ou c’est peine perdue ?»
La débâcle continue. En désescaladant en solo l’entrée du couloir, je me retrouve dans une zone de rochers pourrie, l’effet « venturi » fonctionne toujours bel et bien, et ma seule expérience du solo demeure la via ferrata de la Bastille. Complètement au taquet, je parviens à mettre une broche sur un plaquage et à envoyer la corde à Rémi pour le faire venir. Après quelques rappels sur lunules douteuses, nous mettons le pied sur le glacier : c’est un petit pas pour l’humanité mais un grand pas pour nous !
Le vent s’est calmé, place au brouillard maintenant. Nous finissons de zigzaguer entre des crevasses qui parfois n’en sont pas, mais me terrorisent quand même : serait-ce ce qu’on appelle le risque « subjectif » ?
En arrivant sur la langue terminale du glacier, j’ai l’étrange sensation que ces rochers stables m’accueillent avec la plus tendre des bienveillances. Nous sommes sortis d’affaire ! Quatre heures de marche plus tard, après trois jours d’effort, nous sommes heureux de retrouver Baptiste et Pascal au camp de base. Le sommeil ne tardera pas à nous emporter, les montagnes du Daxue Shan nous ont offert leur lot d’émotions !